Jean Calvin et la Cène



On a reproché aux théologiens réformés le fait d'enseigner que Jésus-Christ et tous ses biens nous sont présentés avec le pain et le vin de la Cène, comme il nous sont présentés dans l'Evangile.
On nous dit que cela en revient à enseigner que les fidèles ne communient qu'avec l'Esprit du Christ et qu'ils n'ont part qu'aux bienfaits que celui-ci nous a acquis dans la chair, sans pour autant jamais participer réellement à sa chair et à son sang.
D'après ceux qui émettent de telles accusations, il y aurait, d'une part, une "communion spirituelle" qui s'installerait avec le Christ (par la foi en l'Evangile) et qui consisterait à être assimilé à son Esprit et, d'autre part, une "communication corporelle" qui ferait que, dans et par l'eucharistie (uniquement), nous serions unis à sa chair et à son sang.
Calvin, enseignant que nous avons la même chose en la Cène qu'en la Parole, voudrait donc dire que notre participation à Jésus-Christ ne s'étend jamais au delà d'une vague union d'esprits, parce que notre intelligence et notre coeur seraient tournés vers le Christ. Il n'y aurait donc dans la Cène que du pain et du vin et l'intelligence qui se constituerait un lien imaginaire avec ce dont les éléments du sacrement ne seraient  que des figures vides et nues...

Vu ainsi, Calvin serait en effet un blasphémateur ayant fini par approuver les opinions qu'il avait  commencé par condamner. Mais, justement, Calvin a-t-il enseigné cela?
Pour s'en convaincre, ses détracteurs exhument le Consensus de Zurich (1549) dont ils citent les parties les plus délicates, comme s'il y avait là une claire exposition de ce que Calvin enseignait.
Ces personnes oublient de dire que, par sa correspondance préparatoire avec H. Bulligner (de l'Eglise de Zurich) Jean Calvin a en réalité retiré l'Eglise zurichoise de certaines erreurs que Bullinger avait commencé à approuver (dans son ouvrage De Sacramentis, en 1545). Ici, par la patience et la charité, le Réformateur de Genève a sans doute obtenu des résultats plus probants que ce que d'autres ont pensé obtenir par les injures. Mais passons.

Nous disons, nous, que la doctrine de Jean Calvin sur la Cène a été exposée le plus clairement et librement dans son Institution de la Religion Chrétienne ainsi sans doute que dans son petit traité sur la Cène.
Tout ce que Calvin dit dans ce dernier ouvrage est finalement résumé dans la conclusion, dont la taille et le propos ne sont pas sans évoquer l'article 36 de la confession de La Rochelle (elle aussi de la main de Calvin). On pourrait aussi se tourner vers le catéchisme de Genève. Mais l'Institution reste la pièce maîtresse et nous estimons qu'on ne saurait trouver source plus sûre et plus incontestable pour parler de la position de Calvin.

Or, ce que nous y lisons s'avère être bien loin des caricatures grotesques et incohérentes présentées ci-dessus.

1) La communication à la chair et au sang du Christ, par la foi.

D'abord, Jean Calvin y affirme de façon répétée que nous communiquons à la chair et au sang de Jésus Christ, non pas par la seule pensée, ou par imagination, mais vraiment et  mystérieusement, et que ce mystère, il ne saurait le réduire en ses mots ou même en son raisonnement (Institution de la Religion Chrétienne, IV, 17. 7).
De même, le Réformateur de Genève n'a jamais insinué ou enseigné que nous ne participerions qu'à l'Esprit du Christ ou aux effets de son oeuvres. Les quelques citations rapportées ci-dessous en sont, il nous semble, l'incontestable démonstration:


a) contre la doctrine d'une "communion" purement idéelle:

"Car il (J. Chrysostome) n'entend pas que nous communiquions par une imagination nue".
(IRC, IV, 17. 6)

"Or, bien que ces choses se reçoivent par la foi, toutefois je n'accepte point cette cavillation , de dire que nous recevons Jésus-Christ seulement par l'intelligence et la pensée, quand il est dit que nous le recevons par la foi"
(IV. 17. 11)



b) contre la doctrine limitant notre communion avec avec le seul Esprit du Christ:

"Ceux-là aussi ne me satisfont point qui, après avoir confessé que nous avons une communication certaine au corps de Christ, quand ils la veulent démontrer, nous font seulement participants de son Esprit, laissant derrière toute la mémoire de la chair et du sang."
(IRC, IV, 17. 7)


-- Contre ces idées, en effet, Calvin insiste pour rappeler que:

"Davantage, il nous a rendu vivifiante la chair qu'il a vêtue et prise, afin que par la participation de cette chair, nous soyons nourris à immortalité".
(IV, 17. 8 b)

"C'est pourquoi  ce serait une folie désespérée   de ne reconnaître nulle communion en la chair et au sang du Seigneur, laquelle st Paul déclare être si grande , qu'il aime mieux s'en émerveiller que de l'expliquer par paroles".
(IV, 17. 9)

En quelques mots, le Réformateur résume en disant que notre participation à la chair et au sang de Jésus Christ est telle que c'est tout comme s'il entrait en nos os et en nos moelles (IRC IV. 17. 10).

Et cela arrive, selon Calvin, lorsque nous croyons en Jésus-Christ. Mais il faut être attentif ici: si Calvin enseigne que manger la chair du Christ est quelque chose qui provient de la foi, il n'admet pas que la foi soit la manducation même.
Il y a peu de différence aux paroles, dit-il, mais elle est grande quant à la chose (IRC: IV, 17. 5) .En effet, si "manger la chair du Christ" n'était autre chose que croire en lui, on aurait sans doute raison de l'accuser de réduire notre participation au Christ à une sorte de simple connaissance. Mais si notre participation au Christ provient de la foi, ou en est le fruit, alors, notre communication au Christ n'est ni une simple connaissance ni un élan du coeur, mais quelque chose de bien réel, certes rendu possible par la foi mais n'étant pas la même chose que la foi même.

Il n'existe donc pas, dans l'Institution de Calvin, deux sortes de participation au Christ:
une, par la foi, qui serait communion au seul Esprit du Christ et une autre, dans le Sacrement, qui nous unirait "corporellement" au Christ. Il n'y a qu'une seule participation, qui est celle du croyant à Jésus-Christ, en sa chair et en son sang. C'est cette participation,qui est nécessaire au salut (Jean 6. 53), que nous avons dès que nous croyons véritablement, par la vertu du Saint Esprit. Autrement, ne nous voilons pas la face:
ou bien cette participation ne serait pas vraiment nécessaire au salut et il nous suffirait d'une vague assimilation "spirituelle" au Christ, ou bien il n'y aurait de salut pour aucun croyant en dehors du sacrement.


2) Une vraie présence dans la Cène, mais non locale.


Nous l'avons dit, donc: pour Calvin, le discours sur le pain de vie dans Jean 6 ne parle ni directement ni exclusivement de la Cène (IRC IV, 17. 4).
Mais cela n'empêche pas que la Cène traite du même sujet et c'est la raison pour laquelle Calvin affirme plus loin que la cène n'est autre chose que la confirmation de ce qui nous est récité au sixième chapitre de st Jean, à savoir que Jésus Christ est le pain de vie qui est descendu du ciel (IRC IV, 17. 14).


La conséquence que nous en tirons est double:
D'une part, la chair et le sang du Christ ne commencent pas d'être notre pain et notre breuvage au sacrement (IRC IV, 17. 5).
D'autre part, cela n'empêche pas que nous ayons encore dans le Sacrement, avec le pain et le vin, cette nourriture de l'âme en vertu de laquelle nos propres corps ressusciteront pour la Vie.
Car si le pain et le vin sont des signes du corps du Christ, ce ne sont pas des signes vides et nus. Au contraire, Dieu, qui est véridique, les unis à ce qu'ils représentent afin qu'ils ne soient pas des signes "frustratoires" (IRC IV, 17. 10):

"Or s'il est vrai que le signe visible nous est baillé pour nous sceller la donation de la chose invisible, il nous faut avoir cette confiance indubitable, qu'en prenant le signe du corps, nous prenons pareillement le corps".


Alors, la compréhension calviniste des paroles eucharistiques n'est pas le triomphe du symbolisme zwinglien mais plutôt l'échec de celui-ci: Calvin montre que si "ceci est mon corps" est une figure de style biblique désignant la chose par le nom de la réalité à laquelle elle renvoit (ex: Genèse 17. 13// Ex 12. 11, etc;), cette manière de parler ne mène pas à la négation de la présence du Christ mais nous oblige à l'admettre au contraire: un signe nu est un mensonge, une tromperie, tandis que les Sacrements du Christ viennent de celui qui est la vérité même.

Calvin ne nie donc pas que la chair et le sang du Christ soient l'aliment et le breuvage dont nous avons besoin pour la vie éternelle;

il ne nie pas que Dieu les donne vraiment avec le pain et le vin de la Cène à tous ceux qui s'approchent du sacrement;
Mais ce qu'il nie, c'est une présence locale (déjà écartée dans la Concorde de 1536) et une manducation cannibale (avec la bouche et les dents).


C'est pourquoi Calvin peut écrire les choses suivantes:
"C'est faussement qu'ils nous reprochent que tout ce que nous enseignons de manger le corps de Jésus Christ, est contraire à la manducation qu'on appelle vraie et réelle, vu qu'il n'est question que de la façon, parce qu'ils la font charnelle, enfermant Jésus-Christ sous le pain, alors que nous la mettons spirituelle d'autant que la vertu secrète du Saint Esprit est le lien de notre conjonction avec notre Sauveur."
(IRC IV, 17. 33)


NB: Calvin dit ici que la façon dont le Christ est présent dans la Cène n'est pas charnelle mais spirituelle. Il est évident, par l'antithèse même qu'il emploi (charnelle/spirituelle) qu'il n'entend pas par "spirituelle" le fait d'une présence et manducation du seul Esprit de Christ (voir le début de l'article) mais une façon d'être présent qui n'est pas comme celle d'un aliment pour le corps (comme la saucisse dans le hot-dog); 
autrement dit, (nous employons ici les mots mêmes de la Confession de La Rochelle, article 36):
"Nous affirmons que cela se fait spirituellement, non pas pour substituer à l'effet et à la vraie réalité de la Cène imagination ou pensée, mais parce que ce mystère dépasse par sa grandeur notre humaine capacité, et tout l'ordre de la nature; bref: parce qu'il est céleste, nous estimons qu'il ne peut être saisi que par la foi."
 
Calvin donc, entend par spirituel, que le mystère est céleste et que c'est l'Esprit qui nous fait communiquer à la chair et au sang du Christ, non pas pour se substituer lui-même à (et annuler cette) communication, mais pour la rendre possible (IRC IV, 17. 13, dernier alinéa).


Conclusion:


Suivant ces quelques points, à moins de vouloir une présence telle (dans le sacrement) qu'il soit permis et ordonné d'adorer littéralement le pain sur l'autel, Calvin, malgré des formulations qu'il est sans doute possible de corriger ou d'améliorer --n'a-t-il pas lui-même reconnu que le mystère était au dessus de son entendement et de ses mots?--, ne remet nullement en question la participation  réelle des croyants, non seulement à l'Esprit, mais aussi au corps et au sang du Christ, et dont la Cène est le cadre privilégié et solennel (Catéchisme de Genève, quest. 343, 350).



Bucer



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