Quelques remarques...



... sur la Concorde et le Calvinisme.


La Concorde de Wittenberg a été rédigée en l'an 1536, par Philipp Melanchthon.
Elle est composée de trois chapitres relatifs à la Cène, à la Confession et au Baptême, mais la partie la plus importante est celle concernant la Cène, et ce en raison des disputes ayant divisé les réformateurs dès le milieu des années 1520.
C'est d'ailleurs la raison pour laquelle seul ce chapitre est (partiellement) inséré dans le Livre de Concorde [Solida Declaratio, chap. 7] par quoi d'ailleurs [et il n'est pas inintéressant de le noter] la Concorde a gardé une actualité ecclésiale indéniable.

Notre intérêt pour ce texte se justifie en raison du fait qu'il a entrainé l'union de 80% du protestantisme (selon Pierre Chaunu, Le temps des réformes) et qu'il constitue, sinon le seul, au moins le plus important lien OFFICIEL entre les Eglises que l'on appellera réformées et luthériennes.
Or, certains pourraient dire qu'un calviniste ne peut pas, en toute bonne foi, souscrire à cet accord, puisque Calvin, s'il a un jour accepté cet accord, semble en tout cas avoir fini par le répudier dans son Institution de la Religion Chrétienne (I.C.).
En effet, Calvin rejette la manducation des indignes (I.C. IV. xvii. 33), contrairement à ce qu'affirme le § 3. de ladite Concorde.

Une réponse (suffisante à nos yeux, car nous ne sommes pas calvinolâtres) pourrait consister à dire que Calvin, n'étant pas infaillible, a pu se tromper sur ce point dans son Institution, sans pour autant mériter l'anathème (que l'on pense à l'erreur sur le baptême, bien plus dommageable à l'unité de l'Eglise, de S. Cyprien!).
Mais il nous semble que ce ne serait pas faire justice au Réformateur de Genève que de répudier  aussi brutalement, son enseignement.
Et puisqu'il a lui-même reconnu qu'il serait sans doute possible de formuler et exprimer ce mystère d'une façon plus claire qu'il ne l'a fait (I. C. IV. Xvii. 7, 19), nous nous proposerons ici, non pas de surpasser son éloquence ou sa sagesse (loin de nous une prétention si énorme!) mais d'examiner son propos ainsi que celui de la Concorde afin de voir si les deux ne peuvent pas s'accorder malgré tout.


Sur le contenu de la Concorde

Mais avant de traiter ce problème, résumons les trois paragraphes du chapitre eucharistique de la Concorde:

§ 1.
Le corps et le sang sont réellement et substantiellement présents, offerts et reçus AVEC (cum) le pain et le vin.
Notons ici que, des trois termes "luthériens" pour décrire l'union sacramentelle (avec, dans, sous), un seul est repris (avec) et que cela est jugé suffisant pour être reçu comme orthodoxe.

§ 2.
La transsubstantiation est niée, ainsi que toute inclusion locale DANS le pain. Par-là, on peut même poursuivre ce que nous avons dit plus haut en disant que le terme "dans" est suspect car pouvant induire à une mauvaise compréhension du rapport pain/corps.
Le texte poursuit en niant une quelconque CONNEXION en dehors de la célébration eucharistique.
Nous pouvons en déduire, a contrario, que dans la célébration, l'union sacramentelle est une connexion (cela va dans le sens de "avec" à l'exclusion du "dans") du pain et du corps, l'un n'étant pas sans l'autre, sans que l'on soit tenu de dire que les deux sont circonscrits dans le même espace.
La Concorde déclare alors que  le pain est corps, mais elle poursuit par une explication de cette phrase en ajoutant un "c'est-à-dire" (apparemment peu compatible avec l'assertion selon laquelle les paroles d'institution ne supporteraient aucune explication):
"… Lorsque le pain est présenté, le corps est en même temps présent et réellement offert".
Donc, l'élément du pain est désigné comme corps, parce qu'il est uni au corps (sans être changé), de sorte que la phrase ressemble fort à une synecdoque (Luther) ou à une métonymie (Calvin), sans se laisser réduire à la métaphore (Zwingli).
*       *       *
NB.: Sous des termes a priori un peu barbares, Brian Gerrish a distingué trois différentes conceptions des sacrements chez les réformés:
--> Le symbolisme mémoriel (Zwingli) pour qui le sacrement évoque, métaphoriquement, une chose passée et absente.
--> Le symbolisme paralléliste (Bullinger) pour qui la réalité est jointe au sacrement sans passer par eux (Dieu agit concomitamment à la célébration, chez les élus).
--> Le symbolisme instrumental (Calvin) pour qui Dieu opère à travers les signes.
Jusque-là, donc, la Concorde s'applique très bien au moins à la troisième conception des réformés.
 
Reste le troisième paragraphe de la Concorde, qui affirme que l'institution du sacrement est efficace dans l'Eglise indépendamment de la dignité du ministre ou des récipiendaires.
 
Ce principe est accepté par tous les théologiens réformés.
 
En revanche, la conséquence ou l’application de ce principe est un peu plus confuse, semble-t-il. Car la Concorde le décline en disant que, en vertu de cette efficacité, le corps et le sang de NSJC sont non seulement offerts, mais aussi reçus par les indignes.


Positionnement calvinien dans l'Institution

Or il est bien connu que si Calvin reconnait que l'intégrité du sacrement exige que le corps soit bien offert à tous (dignes et indignes), c'est autre chose que tous le reçoivent. Et, selon lui, seuls les croyants le reçoivent (I.C. IV. xvii, 33).

REMARQUE:
MAIS il convient de noter que selon le Réformateur de Genève, le signe est uni à la chose signifiée (I.C. IV. xvii, 10) en raison de la véracité des paroles divines (I.C. IV. xvii. 33).
DE PLUS [et c'est ici une opinion qui peut tout à fait être celle d'un Réformé, surtout à la lumière de ce que dit Calvin dans son Institution (IV, xvii, 37 : la promesse {ceci est mon corps} est jointe à un ordre {prenez, mangez} et en dépend)], il semble que la doctrine la plus orthodoxe, en matière sacramentelle, soit la thèse réceptionniste plutôt que consécrationniste, de sorte que le pain est [uni au] corps lors de la manducation par les communiants, et non dès le millième de seconde après que le pasteur ait fini de dire les paroles "ceci est mon corps" [pour, peut-être, cesser de l'être quand il est pris par un impie?].

APPLICATION:
Dans cette perspective, à la question de savoir:
--> Qu'est-ce qui est reçu par ceux qui (dignes ou indignes) mangent à la table du Seigneur?
La réponse est certainement:
--> Le pain uni au corps [pain-corps, dirait Luther], non que le corps soit localement inclus dans le pain, mais en ce qu'il lui est mystérieusement uni.
En ce sens, le corps est reçu de tous, non qu'il soit broyé avec les dents, comme le voulait le pape Nicolas (dans Ego Berengarius), mais parce que, surtout dans une perspective réceptionniste, ce qui est reçu coïncide nécessairement avec ce qui est donné.


Recevoir et recevoir?

Que devient alors la distinction calvinienne entre offrir et recevoir (I. C. IV, xvii, 33) ?
Il nous semble nécessaire, pour liquider ce problème, de relever l'ambiguïté du verbe recevoir.
Recevoir, dans un premier sens, c'est se voir adresser qqch, être mis en possession de qqch.
Recevoir, dans un deuxième sens, c'est laisser entrer qqch, ou donner accès à qqch.
La différence sera très grande alors, entre recevoir l'évangile en ses oreilles (premier sens) et le recevoir en son cœur (deuxième sens).

Exemple avec Actes 17:
Les athéniens ont reçu (sens n°1) l’Evangile [ou bien, qu’est-ce Paul leur a prêché ?], bien que seuls quelques athéniens ont reçu (sens n°2) l’Evangile [ou bien, les stoïciens sont-ils tous sauvés avec Denys?].

En un sens similaire, Calvin explique que la lumière ne ferait rien pour les yeux sinon que la faculté de voir y fut pour la recevoir (I. C. IV. xvi, 9).
Or il est certain que la faculté de voir permet de recevoir (accueillir) la lumière pour illuminer la vue, mais que même les yeux de l'aveugle reçoivent les rayons de lumière (sans toutefois les saisir, ou sans qu'ils leur soient utiles).
C'est la raison pour laquelle il semble que la distinction calvinienne entre offrir et recevoir, si elle n'est pas fausse,  ne semble cependant pas assez précise et nous lui préférerons une distinction entre recevoir et manger.
Cette distinction se trouve chez S. Augustin en deux textes (Du baptême contre les donatistes, V, 8, 9// La Cité de Dieu, XXI. 25) que Calvin cite, d'ailleurs, en un même passage de son ouvre (I.C. IV, xvii, 34).
Il y apparaît que Calvin prend "recevoir" pour "recevoir au dedans", et en ce sens, il a mille fois raison de dire que les impies ne reçoivent rien du tout.
En revanche, si l'on doit admettre avec la Concorde que les indignes reçoivent le corps, c'est au sens d'une réception extérieure, en raison de l'union sacramentelle avec le pain. Alors, il faudra dire que le corps est « reçu » par les indignes mais qu'il n'est pas « mangé » par eux, pour dire que Dieu donne réellement et que l’authenticité du sacrement ne dépend pas de la dignité du récipiendaire, mais que le corps n’est pas reçu au dedans, c'est-à-dire pas mangé.

En effet, on ne peut manger ou boire quelque chose que de trois manières:
--> Littéralement (je mange du poulet et des frites) ;
--> De façon figurée (je bois l'injustice --Job 14. 16) ;
--> De façon mystérieuse et céleste, ou spirituelle (le corps du Christ).

Or, à moins de capernaïser, personne ne mange le corps, dans le sacrement, au sens corporel, c’est-à-dire avec les dents, comme on mange du poulet (cannibalisme).
Il est faux de dire qu'on le mange seulement de façon allégorique ou figurée (Zwingli) et ce serait en tout cas faux pour l'impie.
Reste donc la troisième façon, mais qui est nécessairement salutaire et ne concerne donc pas l'impie, ou indigne qui, s'il reçoit le corps avec le pain qu'il mange, ne mange cependant pas le corps avec le pain qu'il reçoit.


Intérêt et justification de cette requalification

Nous considérons utile de requalifier la distinction: offrir/recevoir en: recevoir/manger (quoique Calvin semble venir naturellement à cette distinction dans l’Institution IV, xvii, 34), et ce, non pas simplement pour satisfaire à une dispute de mots, mais dans le double intérêt de l'édification de l’Eglise et du salut des âmes.

Ainsi, d'une part, sont malheureuses pour l’édification de l’Eglise les formules extrêmes et sans nuance, utilisées par certains (EREI, Fiche théologique n° 9, II, 3°), qui disent que:
"... la présence du Christ est conditionnelle et non automatique. (...) Celle ou celui qui s'approche de la table du Seigneur sans ce discernement de la foi n'obtient qu'un morceau de pain et une gorgée de vin."

Cela, en effet, laisse penser que la véracité des paroles de Dieu dépend de la foi.
 
D'autre part, pour le salut des âmes, il est important que l'on ne laisse pas des impies se faire de faux espoirs, en se basant sur Jean 6. 51-54, et penser être sauvés par leur participation au sacrement eucharistique.
Cela, S. Augustin, et non seulement Calvin, l'a compris et affirmé, en niant catégoriquement que l'impie mange la chair du Christ (Cité de Dieu, XXI. 25).

*     *     *

Ensuite, par cette requalification des termes, nous ne pensons pas trahir Calvin. Car le réformateur, après avoir repoussé la transsubstantiation, examinant les thèses luthériennes, écrit ceci :

« S’ils (les luthériens) disaient rondement que, quand le pain nous est présenté en la Cène, il y a vraie exhibition du corps, d’autant que la vérité est INSEPARABLE d’avec son signe, je ne contredirais pas beaucoup » (I. C. IV, xvii, 16).

Les controverses de Calvin avec un Westphal ou un Hesshus ne résultent donc pas d’un reniement réformé de la Concorde, mais du fait que, comme la Concorde (§ 2), Calvin repousse l’idée d’une présence et inclusion locales, dans le pain, et son corollaire, l’ubiquisme.
C’est ce dont témoigne la suite du propos de Calvin, qui bifurque immédiatement sur ces thèmes en disant :

« … mais d’autant qu’en enfermant le corps DANS le pain, ils imaginent qu’il est partout, ce qui est contraire à sa nature ; puis en ajoutant qu’il est sous le pain, ils l’enserrent là comme en cachette, il est besoin de découvrir de telles astuces ».

En second lieu, Calvin utilise une image pour présenter sa pensée :
L'eau de pluie, dit-il, coule sur la roche sèche sans entrer au dedans et c'est de la même façon que l'indigne ne mange pas la chair du Christ qui pourtant lui est donnée (I.C. IV. xvii. 34).

Or nous ne croyons pas infléchir de beaucoup cette image en ajoutant que ce n'est pas parce que l'eau n'est pas reçue dans la roche qu'elle n'est pas reçue, extérieurement, par la roche.

*     *     *
Pour terminer, il convient de noter que la Concorde déclare que le sacrement est institué pour témoigner du salut des croyants qui (seuls), sont membres du Christ.
Le sacrement témoigne et met donc en évidence une manducation qui le précède et se fait par la foi, et n'en commence pas une nouvelle qui lui serait complémentaire, alternative et/ou concurrente.
En cela, encore, la Concorde s'accorde très bien au système calvinien et tend à contredire les opinions de ceux qui y voient une manducation d'un genre différent de celui qui est obtenu par la foi et la Parole.

Bucer

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