L'UEPAL et le syncrétisme



Malheureusement, les 500 ans de la Réforme sont l'occasion, pour certains, de se comporter comme des conservateurs de musées plutôt que comme des pasteurs chrétiens. C'est ainsi qu'on expose, un peu partout, des collections sur "Luther", les "95 thèses", le "Protestantisme" et l'impact de tout cela sur le monde (dans le domaine de la philosophie, de l'économie, du droit, etc.) comme si plus personne ne se souvenait que le Protestantisme, c'est d'abord la réaffirmation de l'autorité de la Parole de Dieu, l'appel à la repentance et surtout à la foi, foi dans le Dieu qui montre son visage en Christ -- et qui n'est connu en nul autre!

Fixant le doigt "Luther" plutôt que le Soleil de Justice vers lequel pointait ce doigt, l'UEPAL (Union des Églises Protestantes d'Alsace et de Lorraine) a ainsi décidé de publier, le mois dernier, une déclaration en 10 points, intitulée: "Luther, les Juifs et nous aujourd'hui".
Triste titre, où une position ecclésiale est triangulée sans même faire mention de Jésus-Christ!

Toujours est-il que le site de la dénomination présente le document comme une simple "condamnation des écrits anti-judaïques de Luther"
Est-ce bien le cas?
Bien qu'ils omettent malheureusement de souligner que Luther ne fut qu'un docteur parmi tous ceux de l’Église chrétienne (Église dont le fondement est et reste Jésus-Christ, le seul Seigneur et le seul Sauveur des hommes: des Juifs, d'abord, et aussi des Gentils!) les six premiers paragraphes du texte inciteraient à répondre positivement à cette question.
Seulement voilà: la déclaration est composée de dix, et non de six paragraphes.
Or, la lecture des quatre derniers points (pleins d'assertions lourdes de conséquences théologiques), m'amène à remettre cette intention en question.


PARAGRAPHE 7:

A) Ce paragraphe affirme que Protestants et Juifs partagent la même foi dans le Dieu unique d'Abraham...
Notez bien: non pas simplement "une croyance" portant ''sur'' "un" Dieu unique... Non. "La même foi", "dans le Dieu unique...". 
Manifestement, le "regard différent porté sur Jésus" (pudiquement évoqué dans ce paragraphe) ne semble pas beaucoup impacter la foi des uns et des autres...

Rappelons pourtant que la foi transmise aux saints une fois pour toutes, c'est  "tout ce qui est promis dans l’Évangile et que les articles de la Foi universelle et indubitable des chrétiens expriment en abrégé dans le Symbole apostolique" (Catéchisme de Heidelberg, 7e dimanche).
Quant à la foi au sens subjectif (l'adhésion), il s'agit, selon le même catéchisme, non seulement d'une connaissance certaine par laquelle je tiens pour vrai tout ce que Dieu nous a révélé par sa Parole (l'Ancien ET le Nouveau Testament, NDLR); mais aussi d'une confiance du cœur que l’Esprit Saint produit en moi par l’Évangile et qui m’assure que ce n’est pas seulement aux autres, mais aussi à moi que Dieu accorde la rémission des péchés, la justice et le bonheur éternels, et cela par pure grâce et par le seul mérite de Jésus-Christ.

En quel sens Protestants et Juifs peuvent-ils donc partager la même foi dans le Dieu d'Abraham?
La Synagogue aurait-elle récemment reçu le Saint Évangile?
Les rabbins inculqueraient-ils maintenant le Symbole des Apôtres?...
Évidemment, la réponse est négative; et  par conséquent, l'assertion de l'UEPAL est fausse.


B)  Le paragraphe 7 se termine par l'affirmation qu'Israël est, aussi bien que l’Église, "peuple de Dieu" et que "cette élection demeure inchangée".
Soit que les auteurs de la déclaration ont fait du suivisme sans être sûrs de bien comprendre ce qu'avait voulu dire Jean Paul II (dont ils ont presque repris l'expression * ), soit qu'ils ne voulaient pas risquer de choquer d'éventuels observateurs chrétiens en expliquant leur pensée, le texte ne développe et pas ce point. Dans le contexte de la déclaration, toutefois, la phrase ne peut pas ne pas être retenue.


(*) Jean Paul II, à Mayence, le 17 novembre 1980, parlait du "peuple de Dieu de l'Ancienne Alliance, jamais révoquée par Dieu".

 



PARAGRAPHE 8:


A) Le paragraphe 8 annonce un vaste chantier de relecture de l'Ancien Testament, avec les changements doctrinaux et liturgiques nécessaires à l'accompagnement de cette révolution.
Nous sommes très loin, ici, d'une simple condamnation de la verve de l'homme Luther: l'UEPAL dégoupille une grenade contre la foi et la prière de l’Église et annonce des changements dont elle se garde bien de préciser les limites (mais y en a-t'il?)
L'UEPAL annonce de tels changements et personne ne proteste! Drôle de façon de célébrer le Protestantisme!

B)  Le même paragraphe affirme également que "l'interprétation judaïque" de l'Ancien Testament "peut être une aide pour en saisir toute la richesse"...
Notez bien: non pas la maîtrise de l’Hébreu, ni même la connaissance de cette culture... non: l'interprétation judaïque des textes! La compréhension, l'intelligence, la lumière qu'en ont les docteurs du Talmud: voilà ce qui aiderait à saisir toute la richesse de l'Ancien Testament!

Cette assertion (surtout dans le contexte de cette déclaration!), est peut-être l'affirmation la plus choquante du document.
Car bibliquement, traditionnellement, il est entendu que Moïse a écrit du Christ (Jean 5).
Que c'est Lui qui explique les Écritures et en ouvre le sens à ses disciples (Luc 24). 
Que c'est en Lui que le voile se lève, lorsqu'on fait la lecture de l'Ancien Testament (2 Corinthiens 3).
Luther demandait à Érasme de Rotterdam: Retire le Christ des Écritures, et que pourras-tu y trouver de plus? 
La réponse était (et demeure), bien évidemment: rien. 
Et pour cause: en lui se trouvent tous les trésors et toute la plénitude de la divinité! (Colossiens 2).
Si l'on croit cela (mais est-ce encore le cas dans l'UEPAL?) peut-on désespérer de trouver toute la richesse des livres de l'Ancien Testament dans le Nouveau?



PARAGRAPHE 10:

Dans la logique du paragraphe 7, ce dernier point affirme qu'avec les Juifs, les Protestants se savent appelés à témoigner de Dieu (et, surtout, de la dignité humaine!), si bien qu'ils veulent s'engager ensemble au sein de la société, dans l'attente (commune?) de nouveaux cieux et d'une nouvelle terre...
Même foi et vocation, même engagement et -- peut-être -- espérance eschatologique commune: Jésus-Christ semble donc bien optionnel, dans une vie de "foi" qui peut se nourrir des interprétations qui l'ignorent et le combattent!


Conclusion:

Sous couvert de corriger Luther, l'UEPAL cache et récuse les revendications légitimes de Notre Seigneur: Je Suis le chemin, la vérité et la vie. Nul ne vient au Père que par Moi! (Jean 14.6)
Le témoignage apostolique n'est pas moins clair: quiconque nie le Fils n'a pas non plus le Père (1Jean 2: 23). 

Quel est le but de l'UEPAL?
En fait, la question dépasse largement l'UEPAL: comme l'a rappelé Christian Albecker, le président de la dénomination, la déclaration de son organisation a été précédée par celle, non moins hallucinante, de l'EKD, l’Église protestante d'Allemagne... et il semblerait que la sinistre Église Protestante Unie de France s'apprête à publier un texte sur le même sujet (à l'automne).
Plus largement encore, la dénomination romaine a ouvert la marche, non seulement dans ses textes du second concile Vatican (Nostra Aetate et Lumen Gentium) mais encore dans un document publié en décembre 2015, où l'évangélisation des Juifs était abandonnée...
Quel est donc le but poursuivi par ces institutions religieuses (et, au-delà, par l'esprit du siècle)?

Il semble évident que l'entreprise que nous observons est de nature théologico-politique (voir le § 10 sur l'engagement à œuvrer en commun pour un monde meilleur). L'idée est manifestement d'édifier une cité terrestre "bien" ordonnée (où l'on puisse dire: paix et sécurité!) et de laquelle il convient donc d'exclure toute idée d'intolérance théologique, jugée porteuse et responsable de l'intolérance politique:

"Il est impossible de vivre en paix (écrivait Rousseau) avec des gens que l'on croit damnés". Ainsi: "quiconque ose dire `hors de l’Église, point de Salut'" doit être chassé de l’État".
(Du Contrat Social, Livre IV, chapitre 8). 

Le Judaïsme (du fait de sa proximité évidente avec le Christianisme), n'est qu'une première étape dans cette construction syncrétiste: en parlant du Dieu unique d'Abraham (plutôt que de dire, avec la Bible: le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob...), l'UEPAL pense probablement à ses relations avec une autre religion "monothéiste", encline à se référer à Abraham, Ismaël et Mahomet, et qui a vocation à rejoindre leur ONG pseudo-abrahamique.

En définitive, le virage que prennent aujourd'hui les "grandes Églises" prépare un monde dans lequel toute l'exclusivité réclamée par le Christ sera, au moins en pratique, ignorée, niée et regardée comme le vestige d'un monde cruel, qu'entretiennent seulement quelques factieux en mal de Croisades et d'exactions. Des factieux que l'on serait peut-être en droit de chasser de l’État...

Faut-il rappeler que l'exclusivité revendiquée par le Seigneur a valu à ses hérauts toutes les persécutions de ce monde (Actes 17. 6 / 24. 5; 1Rois 18. 17, Matthieu 24.9)?...
Faut-il rappeler aussi que l'on dira faussement toutes sortes de mal contre nous, à cause du saint Nom de Jésus (Matthieu 5. 11-12)? 


Bucerian

Commentaires

Anonyme a dit…
Bonjour et merci pour ce texte.

Je précise dès à présent que je suis ou, en tout cas, que j'essaie d'être un catholique.

1. Il me semble vraiment que l'anti-exclusivisme ou que le post-exclusivisme que vous pointez du doigt est commun à au moins une partie du néo-protestantisme et à au moins une partie du néo-catholicisme, l'un et l'autre étant susceptibles d'être considérés comme des courants sentimentalistes (post)schleiermachiens.

2. Il me semble également que cet anti-exclusivisme ou que ce post-exclusivisme ne débouche pas sur du syncrétisme, à proprement parler, mais plutôt sur du concordisme interreligieux, axiologisant et/ou pneumatocratique, constitué autour ou en vue de "valeurs" et/ou de "prières" communes, ou considérées comme potentiellement ou tendanciellement communes aux juifs, aux chrétiens, et aux musulmans.


3. Il me semble aussi que c'est le pape Jean-Paul II, bien plus que le concile Vatican II en général, et la déclaration conciliaire Nostra aetate, en particulier, qui, dès le début de son pontificat, a commencé à porter une lourde part de responsabilité dans la mise en oeuvre de la tendance à la légitimation et à la valorisation, mais aussi, il faut bien le dire, à l'hégémonéisation et à l'irréversibilisation, qui bénéficie à ce concordisme interreligieux, anti-exclusiviste ou post-exclusiviste.


4. Et il me semble enfin que le fond du problème est à peu près le suivant : depuis le début du XIX° siècle, dans le cadre du néo-protestantisme, et depuis le début de la deuxième moitié du XX° siècle, dans celui du néo-catholicisme, nous sommes fréquemment en présence de clercs catholiques et de clercs protestants qui considèrent en substance que la Parole de Dieu n'a pas à faire autorité, d'une manière contra-positionnelle, face à telle conception non chrétienne, voire non croyante, de la conscience humaine, du devenir du monde, des aspirations de l'homme, de l'évolution du monde, de l'identité de Dieu, de l'orientation vers Dieu, de la religion en général, des trois religions dites abrahamiques, en particulier, etc.

(...)
Anonyme a dit…
(...)

5. Nous sommes ainsi en présence de clercs chrétiens qui ne sont pas seulement contemporains sous l'angle chronologique, mais qui sont avant tout postmodernes sous l'angle épistémique et sous l'angle axiologique, et qui se positionnent, par des affirmations et par des occultations, ou par des expressions et par des omissions, exactement


- comme s'ils considéraient que presque tout le monde a raison ou que presque presque personne n'a tort, en matière religieuse, sauf les catholiques exclusivistes, souvent considérés comme des traditionalistes, et les protestants exclusivistes, souvent qualifiés de fondamentalistes,


et


- comme s'ils ne tenaient pas beaucoup ou pas du tout à ce que leurs fidèles respectifs comprennent que la religion chrétienne est la seule vraie en plénitude, et que les religions non chrétiennes sont erronées, du point de vue théologal, y compris les deux autres religions dites abrahamiques.


6. Nous sommes aussi en présence de clercs qui considèrent, sans trop le dire aussi ouvertement, qu'un axiologisme oecuméniste interreligieux unanimiste est envisageable et réalisable, parce qu'ils pensent, grosso modo, que la religion chrétienne est à peu près de même nature que les autres religions, et qu'il est bon que toutes les religions soient unies, au service de causes consensuelles : la paix dans le monde, la sauvegarde de la création, etc., notamment afin que les religions en général, la religion chrétienne, en particulier, ne soient pas victimes d'une marginalisation, face à telle conception, dominante et non croyante, médiatiquement et mondialistement correcte, du "bonheur" et des "valeurs" de l'homme en ce monde.


7. Ce positionnement, respectivement néo-protestant et néo-catholique, ce positionnement, qui fonctionne à l'angélisme, à l'irénisme, à l'utopisme ou, en tout cas, au consensualisme fraternitaire interreligieux, ne peut que continuer à déboucher sur la transmutation d'une grande partie du christianisme contemporain en une certaine forme d'anthropocentrisme akérygmatique ou en un certain type d'horizontalisme humanitariste, dans le cadre duquel, pour ainsi dire, on ne peut que mépriser ou, en tout cas, négliger, la connaissance de la Parole de Dieu et la compréhension du message de Dieu, en tant que connaissance et compréhension de l'unique Parole et de l'unique message du seul vrai Dieu, Père, Fils, Esprit.


8. Je ne peux parler que de ce que je connais, aussi je ne parlerai des raisons pour lesquelles nous en sommes là où nous en sommes que dans le cadre du catholicisme : dans cet ordre d'idées, vous seriez surpris par l'ampleur de la présence, dans l'esprit et le coeur de bien des clercs catholiques,


- d'un complexe d'infériorité intellectuelle considérable à l'égard des auteurs ou des idées qui sont à l'origine de cet anti-exclusivisme ou de ce post-exclusivisme,


- d'un complexe de supériorité intellectuelle non négligeable vis-à-vis de ceux qui, parmi les fidèles catholiques, sont restés globalement exclusivistes,


et


- par la soumission de la culture philosophique et théologique à ce qu'il faut bien appeler un irénisme, anti-aléthiste ou post-aléthiste, systématique.


Bonne journée et bonne continuation.


Un lecteur.

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